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il faut d’abord brutalement faucher à coups de sabre, piétiner, écraser, tandis que s’enfuit le monde tranquille des bestioles, papillons, phalènes, libellules et sauterelles ; puis, quand nos tapis de campement sont étendus sur des matelas d’herbes foulées, ce lieu devient l’un des plus délicieux parmi nos gîtes de passage changés tous les jours. Nous sommes là très haut encore, voyant, comme des gens qui planeraient, le vaste déroulement de la Galilée. Et ce sont des heures d’inoubliable rêve que nous passons dans cette retraite, pendant que nos chevaux entravés plongent voluptueusement dans les fleurs et s’enivrent de foins verts. Là-bas, fort loin, et à de grandes profondeurs au-dessous de nous, le morceau visible de la mer de Tibériade, gisant dans les replis des monotones velours, est le point sur lequel se fixent nos yeux et notre pensée, le point évocateur de l’Ineffable Souvenir ; au milieu de ce pays, où pas une trace humaine n’apparaît, il parle silencieusement du Christ, à la manière dont les tombes abandonnées et muettes rappellent les morts… La lumière s’atténue toujours ; il n’y a pas de nuages et cependant il n’y a presque plus de soleil  ; quelque chose de diaphane, comme les vapeurs des contrées du Nord, voile le ciel tout entier, et quand