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synthèse des durées — comme en doivent concevoir ces choses quasi éternelles qui sont les montagnes, les roches, les pierres des temples antiques, ou les souches des plantes renouvelées indéfiniment… Et, dans cette fusion des âges, alors, c’est l’époque du Grand Souvenir qui s’impose et qui prime ; le Christ peu à peu nous réapparaît, comme tantôt dans les champs de fleurs jaune pâle et de lin rose ; de nouveau il se précise humainement aux yeux de notre esprit attentif. Souvent, dans ses rêveries des soirs, il a dû se tenir ici, sur ces hauteurs couronnant sa bourgade isolée, et contempler ces mêmes horizons, promener longuement sa vue sur ces mêmes aspects… Les aima-t-il ? Est-ce qu’il y eut place pour l’attachement humain au sol natal, dans son âme emplie de conceptions tellement plus vastes que nos idées de patrie qui nous paraissent grandes ?… La Nazareth de son temps, qui fut pour lui aveuglément dure, parce qu’il était un enfant du pays, et qui le chassa, sans doute il ne pouvait pas s’y être attaché, — mais à ces montagnes peut-être, à ces mélancoliques étendues, veloutées d’herbe et de lin… D’ailleurs, le mystère des sentiments terrestres de Jésus demeure enseveli pour nous sous des cendres profondes et, parce qu’il nous a embrassés tous dans