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airs à la fois conquérants et protecteurs de quelques imbéciles en veston et chapeau, récemment venus de Beyrouth pour les travaux du chemin de fer ! On sent qu’ils ont conscience de tenir en main le flambeau de la civilisation ; d’apporter, dans cet Orient des Soliman et des Saladin, nos joies occidentales, le charbon de terre, les empressements et les explosifs… Une clameur d’ensemble, dissonante et gaie, s’échappe de ce lieu tout entier. Discussions, rires, cris chantés, se mêlent à des tintements de clochettes ou de tasses heurtées, à des aboiements de chiens, des hennissements de chevaux, ou au murmure de cette eau intarissable et sans prix, qui est tout le secret de la vie persistante de Damas et qui se divise sous ses rues en des myriades de petits torrents frais. Puis, aux heures fréquentes de la prière, la voix des muézins tombe de tous ces minarets, qui sont là-haut mais qu’on ne voit pas : chant du grand mystère, versant à flots l’inexprimable mélancolie de ses fugues en mineur ; chant de rappel à ceux qu’étourdissent les mirages transitoires des choses ; chant du recueillement, chant de la mort… Et de distance en distance, rompant la monotonie bariolée des échoppes, dans une trouée d’ombre, au fond d’une vieille cour interdite aux infidèles,