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perdus sous le retour envahissant des herbages verts… Elle est bien étrange, quand on y songe, cette race bédouine, si fine et si belle, mais qui garde comme de persistantes ténèbres au fond de ses grands yeux doux ou superbes, qui reste avec une telle obstination à l’état primitif, qui y ramène aussi la terre où elle habite — et qui peut-être, inconsciemment, possède et pratique la suprême sagesse. Maintenant nous sommes tout en bas, cheminant entre les immenses marécages où des vases dangereuses dorment sous les roseaux et la chaîne occidentale des montagnes, qui répand sur ce pays une ombre déjà crépusculaire. Le soleil doit être couché ; la lumière baisse, baisse, et une buée presque froide sort du sol avec une senteur de fièvre. Nous pressons nos chevaux déjà fatigués et qui s’épuisent sur ce terrain mou. Comment trouverons-nous nos tentes, quand la nuit sera tout à fait tombée ? Toujours nous croisons des Bédouins, armés de fusils et de lances, qui nous disent bonsoir, et des grandes Bédouines à peine voilées, qui nous jettent un regard fuyant et sauvage. Nous leur demandons souvent cet Aïn-Mellaha, où notre campement doit nous attendre. « Oh ! répondent ils avec un lent geste et un sourire de demi-ironie, là-bas, là-bas,