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Quelques mois avant l’agression actuelle, si patiemment et diaboliquement préparée, un nommé von Bernhardi, à l’instigation du kaiser, entreprit d’avance de plaider les circonstances atténuantes des crimes prémédités par son maître : « C’est une question d’humanité, osa-t-il écrire, de faire la guerre atroce, pour qu’elle finisse plus vite. » Et dire qu’il s’est trouvé chez nous des gens pour prendre cela au sérieux et faire à ce Jocrisse l’honneur de le discuter !

Peu après, le Monstre de Berlin, croyant l’heure propice, ouvrit enfin les cages de sa ménagerie, et ce fut, sur la noble Belgique comme sur notre chère France, cette ruée de bêtes féroces que l’on sait. Cependant — stupeur — les Neutres ne bougeaient pas, et — stupeur plus grande — il s’en trouva même, à force de mensonges et d’argent, il s’en trouva de germanophiles !

Mais c’est aujourd’hui, au cours de leur brillante retraite, que l’horreur atteint vraiment son comble, c’est aujourd’hui le véritable démasquage de la Germanie, osant enfin tout à fait dévoiler au monde son visage de goule. Depuis Attila, l’Europe n’avait plus l’idée de mœurs pareilles : les populations civiles emmenées en esclavage ; la destruction, le vol, la tuerie, et jusqu’aux violations des sépultures de nos soldats, officiellement et minutieusement organisés par ordre des chefs.

Et cela, comment pourraient-ils le nier, puisqu’ils l’ont eux-mêmes conté en détails dans leurs propres journaux, se complaisant à glorifier toute la peine que leurs troupes avaient dû prendre, par ordre, au moment d’évacuer nos villes déjà martyres, afin de ne plus nous laisser derrière eux qu’un désert ? N’ont-ils pas eu la naïveté d’ajouter aussi que certains de leurs soldats — des simples évidemment, accessibles à quelque pitié — répugnaient trop à la basse besogne, et qu’il avait fallu de nobles exhortations de leurs supérieurs pour les y contraindre ! (Sic.)



« Faut-il que notre civilisation élève ses temples sur des montagnes de cadavres, sur des océans de larmes, sur des râles de mourants ? — Oui. »
(Feld-maréchal von Hæseler.)


Maintenant que le printemps, impassible ou ironique, a ramené ici ses manteaux de verdure avec ses chants d’oiseaux, rien ne s’égaie dans nos ruines toutes fraîches qui, pour ainsi dire, saignent