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UN LÂCHER DE GORILLES




« Nous n’avons à nous excuser de rien. Nous sommes moralement et intellectuellement supérieurs à tous, hors de pair. Nous ferons cette fois-ci table rase. »
(Lasson, professeur boche.)


Mai 1917.

Pendant des lieues, pendant des heures, traverser les dévastations que naguère encore aucune imagination française n’aurait su concevoir, et se dire qu’il ne reste que cela de nos belles provinces, sur lesquelles leur maître les avait lâchés !…

Faut-il qu’ils aient travaillé, les gorilles, travaillé avec une rage inlassable et un stupéfiant génie de la malfaisance pour avoir si vite obtenu ces vastes dévastations qui, à mesure qu’on avance, se déroulent toujours ! C’est tout un grand lambeau de notre pays qui a cessé d’exister. On voudrait s’évader de ce cauchemar ; à chaque minute, à chaque tournant des routes, on se dit, on espère : mais cela va finir ! Et non, cela ne finit pas, les ruines succèdent aux ruines ; villes, ponts sur les rivières, villages, humbles fermes isolées, tout est saccagé, émietté, pulvérisé ; les gorilles ont trouvé le temps de n’épargner rien !…

Or, il aurait suffi, pour s’y attendre un peu, de sonder l’âme de la Germanie, de jeter seulement les yeux sur son histoire. Avant cette guerre, si irréfutablement révélatrice, beaucoup de bonnes âmes chez nous entendaient par « industrie allemande » ces milliers d’usines, cette inondation de camelote et de « simili » qui, depuis quelques années, se déverse sur le monde. Mais il y avait une industrie bien plus allemande encore, bien plus foncièrement nationale : l’espionnage, la rapine, le viol et le meurtre. Lisons leurs penseurs, leurs grands (?) hommes : à chaque page, c’est l’apologie de cette industrie-là. Interrogeons leurs annales, depuis le début de notre ère : c’est de cette industrie-là qu’ils ont surtout vécu.