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à déblayer, pour le passage de nos troupes et de nos camions. Rien n’a plus forme de rien, nulle part ; cependant, sur tel monceau qui était, paraît-il, la principale église, les Barbares, pour que nul n’en ignorât, ont eu la délicatesse de planter la croix en fer qui surmontait le clocher !… Il n’y a pas de mots pour rendre l’horreur de tout cela, qui est d’une invraisemblance et d’une insanité de cauchemar, pas de mots pour dire l’indignation furieuse qui vous monte au cœur, le dégoût, la rage et le besoin de vengeance !… De propos délibéré, sans provocation aucune, toute cette basse humanité prussienne est venue faire ça chez nous ! Et ces ruines encore ne sont rien ; non ; le plus irréparable de son œuvre, c’est, dans la terre de tant et tant de cimetières nouveaux, ces amas de cadavres qui débordent. Oh ! bien basse et hors la loi, cette humanité-là, qui, sur un signe de son maître, est arrivée avec sa mitraille trop savante, ses ignobles liquides enflammés et ses immondes gaz de mort, pour faucher en masse nos fils, nos frères, toute notre belle jeunesse de France ! Or, si on la laisse reprendre le souffle prêt à lui manquer, on sait qu’elle recommencera demain, qu’elle fera même pire, car elle a la tuerie dans l’âme, comme d’autres y ont l’honneur. Et songer qu’il y a des Français, ou des soi-disant tels, pour vouloir que l’on tende à ces Boches une main amicale, et qu’on en finisse, en les laissant garder ce qu’ils ont de pris et s’en aller, impunis de tant d’insultes et de tant de crimes ! Songer qu’il y a des journaux à Paris où depuis quelque temps on ose écrire : « C’est regrettable certes, mais c’est la guerre. La guerre est toujours comme ça, vous savez, et chacun en ferait autant. » — Oh ! monstrueux blasphème ! Nous a-t-on jamais vus, nous, malgré les excès inséparables, hélas ! des batailles, nous a-t-on jamais vus faire rien d’approchant ! Pour juger les différences profondes de nos races, il aurait suffi d’aller à Pékin, il y a une quinzaine d’années, quand toute l’Europe avait prétendu y promener — bien lamentablement, je le reconnais — le « flambeau de la civilisation ». En conquérants, nous avions divisé la Ville Céleste et les provinces alentour en secteurs dévolus chacun à l’une des nations alliées. Or, dans le secteur français, la paix régnait, les Chinois menaient tranquillement leur vie normale ; nos soldats les aidaient même à leurs travaux de culture et recueillaient leurs petits orphelins abandonnés. Dans le secteur allemand, au contraire, c’était toujours, même après la bataille, la destruction, l’incendie et le meurtre.