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rent, de plus stable, de plus assuré, donnant l’impression que c’est toujours ainsi et que cet été-là ne craint point de jamais finir. Dans les intervalles des arbres, sur les pelouses fines que les sentiers traversent, partout où le ciel se dégage des branches, on y voit étrangement clair.

En avançant dans le bois, il semble qu’on s’imprègne peu à peu de silence, malgré la musique nocturne des insectes qui, à cette heure, vibre éperdument partout.

Je me promène seul, je me dirige seul vers ces grandes ombres des tours, — dont les Indiens ont peur lorsque c’est la lune qui les dessine ; mon guide, songeant aux fantômes de prêtres et de rois, a préféré ne pas me suivre.

Et, quand j’arrive à l’un de ces temples, je choisis d’instinct, pour aborder la gigantesque dagaha, le côté où rayonne pleinement la lueur lunaire. Dans une sorte de clairière, sans doute très hantée, qui fut un saint péristyle et où mon pas résonne tout à coup sur des dalles, me voici parmi les dieux mutilés, parmi les débris d’autels, tout inondés de lumière bleue. L’immense paix d’Anuradhapura prend ici quelque chose de tellement spécial, que je m’arrête, intimidé comme un indien ; vraiment, je n’oserais pas contourner cette dagaha, pénétrer dans son inquiétant secteur d’ombre…

Cependant les rois, les prêtres qui le bâtirent, ce prodigieux temple, dans quel nirvana sont-ils aujourd’hui,