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vers l’ouest un incendie, qui tout à coup paraît s’allumer au ras de la terre, vient m’éblouir de rayons glissés entre les arbres : c’est le soleil qui se couche ; la nuit, par ces latitudes, sera bientôt arrivée.

Pendant que l’on y voit encore, je me hâte d’aller plus loin ; je prolonge le plus possible ma course de ce soir, puisque ce sera la dernière, ici.

Le charme intime d’une zone nouvelle, où je pénètre au déclin du jour, réside pour moi dans son terrain délicat, un peu sec, un peu sablonneux, couvert d’une herbe courte et fine, comme était le terrain des bois qui furent familiers à mon enfance. Et, comme pour me donner davantage l’illusion de mes campagnes natales, voici des sentiers tracés par le pas des bergers et des troupeaux ; voici des arbres au petit feuillage sombre, à la membrure grise, comme les chênes verts de chez nous ; à part ces grands lis rouges, ces bouvardias rouges, qui de loin en loin surprennent mes yeux, c’est bien cela, avec le même calme pastoral et la même mélancolie des soirs…

Cependant, pour dérouter mon rêve, il y a ces ruines toujours, et ces trop grandes pierres ; surtout il y a les statues au mystérieux visage, dont ce lieu est hanté. Et l’ombre augmente, l’ombre commence de rendre presque inquiétante la silhouette des bouddhas solitaires, qui rêvent accroupis et font au néant leur énigmatique sourire…