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les uns debout et traçant des alignements, les autres tombés et en déroute. Et toujours ces seuils des demeures détruites, où de chaque côté du perron une petite déesse encore souriante semble vous inviter du geste à monter parmi les racines et les fougères, — chez des hôtes qui, dans la nuit des temps, furent sans doute hospitaliers, mais dont la cendre même est depuis des siècles anéantie.

L’heure des ors rouges du soir me trouve, très loin de la maisonnette où j’ai pris mon gîte, au quartier des palais du Roi, dont il ne reste que les assises cyclopéennes, les marches et les perrons sculptés. Il s’y fait un silence de mort, sans même un chant d’insectes ni un appel d’oiseaux. Et là je me repose au bord d’une piscine gigantesque, toute maçonnée de granit épais, qui fut le bain des éléphants princiers.

Cela forme une clairière dans la haute futaie, ce carré d’eau dormante et de nénuphars ; cela change un peu de l’oppression des branches, bien que l’air y reste immobile et lourd. À la surface de cette eau peu sûre, des bulles d’air ne cessent de monter et de faire des cernes, — des bulles soufflées par les crocodiles, qui respirent au-dessous dans les tiédeurs de la vase parmi la peuplade muette des serpents et des tortues.

Point de lianes en ce quartier, ni de broussailles ; aussi la vue plonge-t-elle de tous côtés, sous bois, dans les lointains de ce royaume des ruines, — et là-bas