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lequel Bouddha venait d’acquérir la Connaissance — et le rameau vit encore, devenu un arbre énorme et multiple, dont toutes les branches ont projeté des racines, à la façon des banians ; il est entouré d’antiques autels, de petites lampes religieuses qui brûlent sans cesse dans le crépuscule vert, et de jonchées de fleurs odorantes, chaque jour renouvelées.

Ce qui surtout donne à cette forêt sa mélancolie étrange, c’est d’y rencontrer tant de seuils, de magnifiques seuils en marbre blanc couverts de fines sculptures ; tant de perrons que gardent des divinités au sourire d’accueil — mais qui ne mènent nulle part : les demeures, qui étaient en bois, n’ont plus laissé, à travers les siècles, d’autres traces que leurs marches et leurs dalles ; ces entrées somptueuses n’aboutissent aujourd’hui qu’à des racines, qu’à des herbes et à de la terre.

Il y a aussi, depuis quelques années, en un coin d’Anuradhapura, un village habité, mais un pastoral village qui ne dérange point la mélancolie du lieu, car il se cache sous les branches comme les ruines. Les Indiens qui sont revenus vivre dans la cité ensevelie n’ont point arraché les grands arbres de la forêt, mais les ont seulement dégagés par places des lianes et des ronces, découvrant ainsi de fines pelouses où leurs zébus, leurs chèvres, paissent à l’ombre, comme des bêtes heureuses sur un sol de bois sacré. Eux, les