Page:Loti - Japoneries d’automne, 1926.djvu/80

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

J’ai été absolument captivé : une fascination, un coup de foudre, tout de suite j’ai senti que nos destinées étaient unies pour jamais. C’est, à la porte d’un marchand d’objets de piété, un dieu de grande taille humaine assis les jambes croisées ; un très vieux dieu Amiddah, à six bras, cinq yeux ; gesticulant, ricanant, féroce ; un dieu d’une espèce rare sur les marchés, une vraie trouvaille. Justement celui-ci est dans des prix doux, que je ferai rabattre encore de moitié ; c’est décidé, je l’emmène. Alors on s’agite, me voyant si pressé ; on va confectionner à la hâte une caisse énorme et procéder à la mise en bière. Non, pas du tout, je suis déjà en retard, nous manquerions le train ; j’appelle tout simplement une troisième djin-richi-cha, où le dieu prend place comme une personne naturelle. Nous repartons ventre à terre, ayant maintenant six djin qui poussent des cris, et les Nippons s’ébahissent en route de voir cet Amiddah qui fuit en voiture, enlevé par un Européen.

Quelques contestations avec les employés de la gare, que surprend ce colis imprévu, moitié voyageur, moitié bagage. On finit par s’entendre, et on l’assied comme un homme sur des malles, en me promettant de veiller sur lui tout le long du chemin.

Nous arrivons par un train de minuit à Kobé, où un canot de mon bateau doit m’attendre au