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forme a dû en être léguée aux Japonais par une antiquité extrêmement lointaine et disparue, car elle ne leur ressemble pas ; elle est sévère, grandiose, et surtout elle est simple ; elle frappe comme une chose jamais vue. Mais il faudrait la dessiner, car elle n’est pas descriptible : deux piliers massifs, sortes de cônes s’élargissant par la base, réunis en haut par une première architrave qui est droite, et, un peu au-dessus, par une seconde qui est courbe, débordante, les pointes en l’air comme un croissant de lune ; c’est tout, pas le moindre ornement, pas la moindre sculpture ; l’ensemble est mystique et farouche : il tient du pylône égyptien et du dolmen celtique ; il détonne très étrangement avec les choses compliquées, tourmentées qui l’entourent.

Après les portiques viennent les séries de monstres, rangés des deux côtés du chemin sur des socles de pierre. Les grands arbres étendent au-dessus leur ombre, leurs branchages contournés comme les bras multiples des idoles.

Cela commence par des espèces de tigres énormes en granit, assis sur leur arrière-train, ayant au milieu de la figure une corne à la rhinocéros et riant d’un rire à faire peur. À leurs grosses pattes sont attachés, noués, des petits bandages blancs, comme s’ils avaient du mal : ce sont des prières, qu’on leur a apportées là, sur bandelettes de papier de riz, pour les apaiser.