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Trois heures et demie ! Elle est en retard, l’impératrice. Dans certains groupes, on commence à dire qu’elle ne se montrera pas, et je sens une impatience inquiète, moi qui ne me soucie de rien que de la voir. Tout au bord de la colline où nous sommes, j’ai pris poste d’observation, je surveille les lointains des jardins bas, pour ne pas manquer l’arrivée de son cortège, le long de l’étang aux lotus, par l’allée de cèdres qui nous a amenés.

On est d’ailleurs en très agréable situation pour l’attendre, dans ce haut parterre entouré de crépons violets aux armes impériales ; en tout petit nombre, dans un grand espace très gardé et mystérieux, pouvant se trier, s’isoler, on cause doucement en langues diverses, tandis que les deux musiques de la cour jouent à tour de rôle, dissimulées derrière des verdures. Elles jouent des choses, qui, dans ces jardins, détonnent au moins autant que nos habits français, mais qui sont beaucoup plus jolies : cela commence par le quatuor de Rigoletto ; ensuite c’est du Berlioz, du Massenet, du Saint-Saëns… Et elles sont excellentes, ces musiques ! Mais quel méli-mélo où l’esprit se perd… Où est-on, en réalité, à quelle époque de transition affolée, et dans quel pays chimérique ? Vraiment on ne sait plus. Rien de banal, par exemple, dans cet ensemble ; rien qui ne soit au contraire extrêmement raffiné et rare : dans un lieu tout à fait unique, c’est une réunion