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Et la foule, qui passe et repasse, admire ces femmes éblouissantes, qui ne bougent jamais, dont les yeux las et presque morts restent pudiquement baissés. En avant des maisons, sur toute la longueur des rues, il y a, comme dans nos salons de peinture, des balustrades solides sur lesquelles les gens s’accoudent pendant leurs contemplations.

Elles sont légion, ces belles immobiles ; on voit fuir, en interminables perspectives, sur ces fonds d’écarlate et d’or, leurs rangées de chignons noirs, de visages peints, de toilettes féeriques. Elles sont, comme les poupées, bien blanches avec un rond rose au milieu de chaque joue et, quelquefois, au bord des lèvres, un peu d’or. Devant chacune d’elles est posée une boîte semblable, en laque rouge à fleurs d’or ; et les boîtes aussi sont alignées, comme les femmes, avec le plus grand soin, jusque dans les lointains de la rue. Et le seul mouvement qui soit permis aux belles automates, est de prendre, de temps à autre, dans cette boîte de laque, leur petite pipe ; ou bien leur petit miroir, leur houppe à poudrer, — et de retoucher un peu leurs joues, là, devant le public, sous le feu des réflecteurs.

De loin en loin, la monotonie des robes éclatantes est rompue par une robe de laine, terne et sombre ; celle qui la porte, assise comme les autres, entre sa boîte et son écran dorés, a un air honteux d’être vue, — et c’est une femme du