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Les coureurs font cercle, m’enserrent de plus en plus, très intéressés par l’air de circonstance que j’ai sans doute pris, flairant déjà probablement où vont me conduire mes irrésolutions de promeneur attardé et solitaire…

Brusquement décidé, je leur jette ces mots mystérieux : « Au grand Yoshivara ! »

Au grand Yoshivara ! — Ils l’avaient prévu, les misérables ! Et répètent après moi triomphalement, avec des rires approbateurs : « Au grand Yoshivara ! » En un tour de main, je suis enlevé par les plus proches, assis sur un char, enveloppé d’une couverture écarlate, et parti ventre à terre, dans la nuit glacée…

Je supplie que personne ne s’indigne. — D’abord j’ai les intentions les plus pures ; je ne serai là-bas qu’un simple visiteur. Et puis le Yoshivara est, au Japon, une des plus respectables institutions sociales. À l’encontre de ce qui se passe chez nous, où les Yoshivaras ont des airs clandestins, se cachent vers les fortifications des villes et sont de vilains quartiers noirs, — ici, à Yeddo, c’est au Yoshivara que l’on trouve les plus belles maisons, les plus belles rues larges et ouvertes, le plus grand luxe de façades, d’étalages et de lumières ; c’est un lieu de promenade et d’apparat, fréquenté même par les familles ; c’est un spectacle, non seulement pompeux et splendide, mais