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vue plonge sur tout un pays boisé, tranquille, avec la mer à l’extrême lointain. L’esplanade est entourée d’une modeste barrière de planches et d’une bordure de grands arbres funéraires, droits et rigides, élancés en colonne de temple.

Sur les quatre faces de ce quadrilatère, les tombeaux sont alignés, environ douze par douze, regardant tous le milieu — qui est une petite place vide, couverte d’une herbe rase et comme saupoudrée de cendre d’encens. Quarante-sept pierres debout, semblables, restées brutes comme des menhirs de granit, portant chacune le nom du Samouraï qui dort en dessous, et marquées toutes du signe spécial : Harakiri, — lequel veut dire que ces hommes sont morts à la terrifiante manière des gens d’honneur, en s’ouvrant le ventre avec leur propre poignard.

À deux des angles du carré sinistre, s’élèvent des pierres plus hautes : celle du prince d’Akao et celle de la princesse son épouse. Tout à côté du prince, sous une très petite tombe, on a enterré son enfant, — son mousko-san, comme l’appelle le vieux gardien à serre-tête noir. Et cette expression de mousko-san me fait sourire, malgré le recueillement du lieu, ce mousko qui signifie tout petit garçon, accouplé par excès de déférence à cette particule honorifique san. Comme si, chez nous, on disait avec gravité et conviction ; « C’est ici, à côté du prince, que repose monsieur son bébé. »