Page:Loti - Japoneries d’automne, 1926.djvu/230

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une nuit d’hiver, ils vinrent surprendre et égorger, dans son palais, ce Kotsuké dont les longues méfiances s’étaient peu à peu endormies et qui ne s’entourait plus que d’un petit nombre de gardes.

La vengeance accomplie, la tête du perfide déposée sur le tombeau d’Akao, ils allèrent eux-mêmes se livrer aux juges. On les condamna à s’ouvrir le ventre ; ils s’y attendaient, et, après s’être embrassés, ils firent cela tous ensemble sur les marches d’une pagode, près du tombeau de leur cher seigneur.

Elle est ici, cette pagode, à quelques pas de la fontaine délicieuse : une vieille petite pagode d’un rouge sombre, en bois de cèdre vermoulu. On y arrive par une triste avenue où poussent des herbes. Sur ses marches, lavées par les pluies de près de trois cents hivers, on ne voit plus trace de tant de sang qui a coulé ; on a peine à se représenter la boucherie horrible, le râle de ces quarante-sept hommes, la nuque à moitié coupée, le ventre ouvert, les entrailles dehors, se tordant ensemble dans une grande mare rouge…

Ils eurent leur récompense après leur mort, ces fidèles, car un empereur suivant les déclara saints et martyrs, et fit mettre sur leur tombe certain feuillage d’or, emblème du suprême honneur. Le Japon tout entier les vénère encore aujourd’hui d’un culte enthousiaste ; leur nom est partout ; on