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dorent tous les vieux clochers de Bretagne, — faisaient des huppes et des barbiches de chèvre. Et la base du clocher se perdait, en fuyants indécis, en lignes confuses, dans l’obscurité de la terre.

Yves me paraissait plus grand que de coutume, ses épaules plus larges encore et plus athlétiques.

«  Yves, disais-je, je t’assure que le Creizker a tremblé.  »

… En effet, le vieux clocher des légendes bretonnes chancelait sur sa base, nous le sentions s’abîmer ; l’antique dentelle de granit se désagrégeait doucement, s’émiettait dans l’air, et les débris tombaient. C’étaient des chutes lentes et molles, comme des chutes d’objets n’ayant pas de poids, et nous tombions nous-mêmes, en cherchant à nous cramponner à des choses qui tombaient aussi.

… Maintenant nous errions par terre, au milieu de décombres qui continuaient de s’émietter et de disparaître. — En tombant, nous ne nous étions fait aucun mal, — mais nous éprouvions une angoisse, parce que le Creizker n’existait plus.

Nous songions au temps où nous naviguions, Yves et moi, sur la «  mer brumeuse  » : en passant au large, ballottés par les grandes houles d’ouest, mouillés par les embruns et la pluie, les jours sombres d’hiver, à la tombée froide et sinistre des crépuscules, — souvent dans les nuées grises nous apercevions de loin les deux clochers de l’église de Saint-Pol et le Creizker, posé près d’eux sur