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grandes crises décisives, quand les destinées s’achèvent.

On entendait au loin les fanfares des troupes qui partaient pour la guerre sainte, ces étranges fanfares turques, unisson strident et sonore, timbre inconnu à nos cuivres d’Europe ; on eût dit le suprême hallali de l’islamisme et de l’Orient, le chant de mort de la grande race de Tchengiz.

Le yatagan turc traînait à mon côté, je portais l’uniforme de yuzbâchi ; celui qui était là ne s’appelait plus Loti, mais Arif, le yuzbâchi Arif-Ussam ; – j’avais sollicité d’être envoyé aux avant-postes, je partais le lendemain…

Une tristesse immense et recueillie planait sur cette terre sacrée de l’islam ; le soleil couchant dorait les vieux marbres verdâtres des tombes, il promenait des lueurs roses sur les grands cyprès, sur leurs troncs séculaires, sur leur mélancolique ramure grise. Ce cimetière était comme un temple gigantesque d’Allah ; il en avait le calme mystérieux, et portait à la prière.

J’y voyais comme à travers un voile funèbre, et toute ma vie passée tourbillonnait dans ma tête avec le vague désordre des rêves ; tous les coins du