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La nuit qui suivit fut sans sommeil pour nous deux.

Je la sentais souffrir ; tout son corps se raidissait de douleur. Il fallait tenir verticalement ce bras blessé, c’était la recommandation de l’affreuse vieille, et elle souffrait moins ainsi. Je tenais moi-même ce bras nu qui avait la fièvre ; toutes les fibres vibraient et tremblaient, je les sentais aboutir à cette coupure profonde et béante ; il me semblait souffrir moi-même, comme si ma propre chair eût été coupée jusqu’à l’os et non la sienne.

La lune éclairait des murailles nues, un plancher nu, une chambre vide ; les meubles absents, les tables de planches grossières dépouillées de leurs couvertures de soie, éveillaient des idées de misère, de froid et de solitude ; les chiens hurlaient au-dehors de cette manière lugubre qui, en Turquie comme en France est réputée présage de mort ; le vent sifflait à notre porte, ou gémissait tout doucement comme un vieillard qui va mourir.

Son désespoir me faisait mal, il était si profond et si résigné, qu’il eût attendri des pierres. J’étais tout pour elle, le seul qu’elle eût aimé, et le seul