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nous servait de table, et posa dessus notre souper de pauvres. (Nos derniers arrangements avec le juif Isaac nous avaient laissés sans sou ni maille.)

C’était gai d’ordinaire, notre dîner à deux, et nous nous amusions nous-mêmes de notre misère : deux personnages souvent habillés de soie et d’or, assis sur des tapis de Turquie, et mangeant du pain sec sur le fond d’une vieille caisse.

Aziyadé s’était assise comme moi ; mais sa part devant elle restait intacte ; ses yeux étaient attachés sur moi avec une fixité étrange, et nous avions peur l’un et l’autre de rompre ce silence.

— J’ai compris, va, Loti, dit-elle… C’est la dernière fois, n’est-ce pas ?

Et ses larmes pressées commencèrent à tomber sur son pain sec.

— Non, Aziyadé, non, ma chérie ! Demain encore, et je te le jure. Après, je ne sais plus…

Achmet vit que le souper était inutile. Il emporta sans rien dire la vieille caisse, les assiettes de terre, et se retira, nous laissant dans l’obscurité…