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l’heure présente n’est qu’un répit de ma destinée, que quelque chose de funèbre plane toujours sur l’avenir, que le bonheur d’aujourd’hui amènera fatalement un terrible lendemain. Ici même, et quand elle est près de moi, j’ai de ces instants de navrante tristesse, comparables à ces angoisses inexpliquées qui souvent, dans mon enfance, s’emparaient de moi à l’approche de la nuit.

Je suis heureux, Plumkett, et même je me sens rajeunir ; je ne suis plus ce garçon de vingt-sept ans, qui avait tant roulé, tant vécu, et fait toutes les sottises possibles, dans tous les pays imaginables.

On déciderait difficilement quel est le plus enfant d’Achmet ou d’Aziyadé, ou même de Samuel. J’étais vieux et sceptique ; auprès d’eux, j’avais l’air de ces personnages de Buldwer qui vivaient dix vies humaines sans que les années pussent marquer sur leur visage, et logeaient une vieille âme fatiguée dans un jeune corps de vingt ans.

Mais leur jeunesse rafraîchit mon cœur, et vous avez raison, je pourrais peut-être bien encore croire à tout, moi qui pensais ne plus croire à rien…