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dirait qu’on vient de naître une seconde fois, car dès lors on vit davantage, on fonctionne tout entier ; tout ce qu’il y a en nous d’idées, de sentiments, se réveille et s’avive comme la flamme du punch que l’on agite. (Littérature de l’avenir !)

Bref, on s’épanouit, on est heureux, et tout ce qui est antérieur à ce bonheur disparaît dans une sorte de nuit. Il semble qu’on était dans les limbes ; on vivait, relativement à la vie actuelle, comme l’enfant en bas âge par rapport au jeune homme. Les sentiments par lesquels on passe lorsque l’on est amoureux, on ne peut les décrire qu’au moment même où on les éprouve, et certes, je ne ressens rien de pareil en ce moment-ci. Et pourtant, tenez, sapristi ! je m’emballe en remuant toutes ces idées-là, je m’exalte, je perds la tête, je ne sais plus où j’en suis !… Quelle bonne chose d’aimer et d’être aimé ! savoir qu’une nature d’élite a compris la vôtre ; que quelqu’un rapporte toutes ses pensées, tous ses actes à vous ; que vous êtes un centre, un but, en vue duquel une organisation aussi délicatement compliquée que la vôtre, vit, pense et agit ! Voilà qui nous rend forts ; voilà qui peut faire des hommes de génie.