Page:Loti, Matelot (illustration de Myrbach), 1893.djvu/54

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des jours dont on ne savait plus le nom ni la date, formant des semaines et des mois que l’on ne comptait plus ; un temps qui semblait très long dans le présent et très rapide dans le passé.

Tantôt la solitude de la mer, tantôt des escales en des points perdus de la côte de Corse ou d’Italie ; les jarres de Vallauris, qui n’étaient qu’un prétexte, avaient été déposées à Livourne ; il y avait de brusques départs de nuit, des agissements mystérieux sur lesquels on n’osait interroger. Dans la main de cet homme qui commandait, on se sentait réduit à la muette obéissance.

Pendant ces relâches furtives, on devait, sans un murmure, faire métier de manœuvre, sur des plages qui n’avaient pas de port ; il fallait, pieds nus dans l’eau marine, sur du sable ou sur des rochers qui blessaient, porter de lourdes charges, des sacs, des ballots dont on ignorait le contenu. Mais, dans les lieux sauvages où cela se passait, Jean acceptait tout, sans humiliation parce qu’il n’y avait pas de témoins ; il sentait d’ailleurs que ce