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— « Ainsi soit-il ! » Toutes les têtes de velours blond s’étant inclinées comme sous un même souffle, quelques mains remuèrent, touchant très vite les fronts et les poitrines, pour ce geste mystique qui est le signe de la croix, — et puis ce fut fini : dans le bruit du vent qui fraîchissait avec la nuit, dans le brouhaha des hamacs qui se jetaient et se rattrapaient, la gaieté était revenue avec l’inconscience. Il semblait que la prière et les courtes pensées de mort fussent restées en arrière, dans l’immense espace changeant qui fuyait toujours… Sur ce bateau où on l’avait vu mourir, Jean ne laissait déjà plus qu’une image pâlie, subitement lointaine au fond des mémoires. Tous ces êtres jeunes, dans l’excès de la vie physique, oubliaient vite…

On ne chanta pas, ce soir-là, à cause de lui ; mais, dès le lendemain, la chanson du « Vieux Neptune », entonnée d’abord par quelques voix, fut bientôt reprise en chœur. Et, comme si de rien n’était, la Saône continua sa route monotone vers la France…