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mains à l’heure de la grande épouvante…

Le soir, à l’instant délicieux qui suit le coucher du soleil, il n’y tint plus ; il se sentait mieux, tout à fait mieux, et, pour aller se mêler aux vivants qui respiraient là-haut l’Alisé pur, il se leva ; il baigna son visage dans de l’eau fraîche, prit des vêtements de toile tout propres, et commença de monter, en se traînant dans les échelles comme un lent fantôme. C’était fini de sa grande force, qui avait été son seul bien terrestre ; dans ses bras de matelot grimpeur, si musculeux autrefois, quelque chose d’un peu ferme persistait pourtant, que la maladie n’avait pas détruit, et il s’en servait pour se hisser, s’accrochant à tout, tandis que ses jambes, vaincues les premières, faiblissaient sous le poids de son corps.

Enfin sa tête émergea au grand air ; comme au sortir de quelque tombeau, ses yeux charmés revirent l’espace, les voiles gonflées de vent, et le ciel profond qui s’étoilait.

Enlevée par l’Alisé austral, la Saône