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siennes propres… Ils s’étaient tout de suite charmés mutuellement, par beaucoup de points communs et par d’excessifs contrastes, ces deux êtres, appelés à être envoyés d’un moment à l’autre aux deux bouts opposés du monde et à ne jamais se revoir.

Ce Morel avait, dans la même Grand’rue qu’habitait Jean, une petite chambre de matelot à dix francs par mois, où il entassait des livres, sa seule possession terrestre, et où il se retirait pour lire. Dans cette bibliothèque, d’un choix déjà très exclusif, Jean furetait assez dédaigneusement, n’en admettant que la quintessence, — et Morel s’amusait de voir son ami, si peu lettré, ouvrir tel ou tel volume, en parcourir deux pages, et dire sans appel : « Non, pas ça… — Mais pourquoi ? demandait en riant le pâle garçon, très érudit — Eh bien, que veux-tu que je t’explique, moi… Ça ne me dit rien, voilà tout. » — Et chaque fois il avait raison ; l’ouvrage, même très habile, manquait d’âme, ou n’en avait qu’une trop petite. Très peu de livres, du reste, étaient