Page:Loti, Matelot (illustration de Myrbach), 1893.djvu/137

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la première fois depuis la fuite en exil, et, pendant ces repas, il s’inquiétait que les choses eussent bonne façon, et que sa mère surtout y parût comme une dame. Il s’excusait du très modeste service, et volontiers mettait la conversation sur le cher passé, — comme les gens ayant eu des malheurs, — parlait de la maison d’Antibes, de l’argenterie vendue, s’exagérant bien un peu à lui-même ce confort de jadis.

Son préféré était un garçon frêle et timide, nommé Morel, fils d’un pasteur protestant du centre de la France, attiré là par des voyages rêvés et par la mer inconnue ; marin pitoyable du reste, et qui en avait conscience, continuel souffre-douleur des terribles sergents d’armes.

Après l’avoir d’abord pris simplement sous sa protection par pitié, Jean s’était attaché à lui. Et lui, avait eu bientôt un étonnement complet en trouvant chez ce protecteur, si matelot, des raffinements extrêmes, — et des conceptions de passé, d’Orient, de lumière et de mort, plus immenses et plus mystérieuses que les