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la manœuvre ne les appellent plus.

Chez ceux qui sont nés songeurs, le rêve prend, en dessous de ces excès de vie matérielle, une intensité plus grande, dans une sphère plus cachée. Chez quelques-uns aussi, il y a comme une sorte de dédoublement de l’être : certain gabier, qui ne parle que voilure et cordages, qui ne semble vivre que pour son métier de mer, est, au fond, demeuré un enfant attaché à quelque hameau de la côte bretonne, à des affections ou à de tout petits intérêts qu’il a laissés là-bas, — et cela seul compte pour lui, il parle et travaille ici machinalement, l’âme ailleurs, ne voyant rien du monde qu’il parcourt, ni de l’inconcevable immensité de la mer.

Dans le repos des soirs, un tel, qui était par exemple : « 218, bras de misaine bâbord », redevient le Pierre ou le Jean-Marie de ses premières années et s’en va s’asseoir à côté d’un autre garçon de son pays, qui lui-même a repris son être d’autrefois. Ils se cherchent, ils se trient, par âmes à peu près semblables, ou seulement par enfants des mêmes villages, tous ces