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la pose familière aux vieilles femmes accroupies devant leur feu, elle se tenait immobile et muette comme dans l’attente, et ce n’était pas une vaine hallucination de mon cerveau surexcité, car, à un moment donné, elle prit les pincettes et se mit à tisonner les braises dont quelques-unes roulèrent sur le tapis.

Une angoisse affreuse me serrait la gorge, je m’étais levé et ne pouvais m’empêcher de la regarder ; c’était une femme, mais une femme très grande, et, quand le feu se ravivait, je voyais très bien son petit chignon de cheveux gris tordus sur sa maigre nuque et je ne pouvais ni appeler ni crier tant mon épouvante allait grandissant, tant la conviction s’affirmait en moi que cette étrange présence ne pouvait être que malfaisante pour la malade que je gardais.

Je restai bien pendant trois minutes ainsi, une sueur froide me coulait aux tempes. Je pris enfin sur moi de m’avancer vers la terrible inconnue. Etouffant mes pas sur le tapis, je me précipitai vers elle et je lui posai les mains sur les épaules ; le spectre avait disparu. J’avais été le jouet d’une hallucination, d’un rêve ; anéanti, je me laissais tomber sur le fauteuil où, tout à l’heure encore, j’avais cru voir la servante de la Mort, et, les mains machinalement tendues vers la flamme, dans la pose même du fantôme, je commençais à peine à ressaisir mes esprits, quand, dans le silence de la