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dans le plus mauvais livre, le plus cruel et le plus dangereux du dix-huitième siècle, Valmont dont le le mélancolique et doux souvenir, fait de grands arbres, d’eau de sources et de longues et silencieuses promenades sous des chemins couverts, est demeuré confondu dans ma mémoire avec les chromo-lithographies de Tonny-Johannot, lacs d’Écosse entourés de forêts et châteaux d’outre-Rhin dominant des vallées, des morceaux de musique traînant il y a vingt ans sur le piano de ma mère.

Mon oncle Jacques possédait dans ce coin de pays perdu une vaste propriété, ancien domaine abbatial dont nous habitions le couvent, aujourd’hui converti en maison de campagne. Les cellules y étaient devenues autant de chambres étroites et proprettes, le réfectoire la salle à manger et le parloir le salon ; nous vivions là en famille, une quinzaine de cousines et de cousins, sous la surveillance de nos parents, et c’étaient tous les jours, durant ces deux mois, des parties dans les environs pour amuser cette marmaille.

Ces folles parties qui faisaient battre des mains et bondir de joie mes petits cousins, je mettais, moi, tous mes soins à m’y soustraire, épris que j’étais déjà, tout enfant, de solitude et de rêverie, plein d’une peur instinctive des jeux bruyants des garçons et des taquineries déjà coquettes des filles. Aux violentes parties de barre, aux goûters sur l’herbe en forêt et même à la pêche aux écrevisses,