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mitrés, des lansquenets et des pages le profil des morions, des bannières et des lances se détachait en noir sur la haute tapisserie, mais ce n’étaient que des ombres et elles ne faisaient aucun bruit. »

Et j’en arrivais à guetter mon homme chaque fois qu’il se levait, espérant et craignant à la fois voir apparaître derrière lui, sur le fond de la tapisserie, quelque ombre effroyable et velue : son double.

Ce Michel Hangoulve, dans quelle opprimante et bizarre atmosphère de contes d’Hoffmann et d’Edgar Poe se mouvait-il donc ?

Jusqu’au son de sa voix m’impressionnait maintenant, elle était aigre comme un hissement de poulie et coupée de petits rires brusques, presque des ricanements. Etait-ce bien lui ou l’autre qui ricanait à ces affreuses minutes ? La sauvagine a, par les nuits d’hiver, aux bords des fleuves gelés, de ces étranges piaulements.

Et l’horrible homme continuait, redoublant de volubilité et d’amabilité ; plus je le regardais, plus son aspect larveux se dégageait visible et m’emplissait d’effroi. J’en étais arrivé à ne plus oser regarder dans les angles obscurs ni dans l’eau morte de la glace ; j’avais trop peur d’y voir surgir quelque forme sans nom.

Il n’était pas entré seul chez moi, cela était de plus en plus évident : quelle atroce présence allait-il laisser derrière lui dans la chambre ensorcelée ?