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il avait saisi l’occasion rare d’une publication pour forcer ma porte et me demander des conseils… et un article aussi, car il s’étendait maintenant sur les difficultés accumulées aujourd’hui devant tout débutant, sur l’indifférence de la presse en matière de littérature, la dégradation des journaux envahis d’interviews de filles et de souteneurs, sur la grande autorité de ma plume en matière d’art — et il osait me regarder sans rire -, sur le krach du livre, sur l’agonie méritée du roman de l’égout, et après quelques coups de patte à Zola et une heureuse diversion sur l’exposition, le parc de Bouteville et la peinture symbolique, il s’appesantissait enfin sur le grand service qu’un homme comme moi pouvait lui rendre avec quelques mots, moins que rien, deux ou trois lignes dans un article, et sur ma bienveillance bien connue de tous.

D’un geste discret, il avait, entre-temps, déposé son livre sur ma table. C’était un volume in-octavo, presque de luxe, orné d’un frontispice d’Odilon Redon et dont toute une liste de noms de la finance et du monde, publiée en première page, flattait et rassurait la vanité des souscripteurs ; je l’avais pris par contenance et, tout en le feuilletant, j’observais du coin de l’œil cet inquiétant Michel Hangoulve ; son réel aplomb et sa timidité jouée m’intéressaient. Avec sa face prognathe et ses dents menaçantes, il était vraiment curieux par le