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délicieusement du délicat opium de cette histoire de fées, une des plus poétiques visions du conteur Andersen, quand, dans le silence de la pièce assoupie, un domestique s’irruait brusquement. Il me tendait une carte sur un plateau : c’était un monsieur qui apportait un livre et tenait à le remettre a monsieur lui-même ; on avait beau lui dire que monsieur ne recevait pas, était absent, sorti, le visiteur insistait ; je vis qu’on m’avait mal défendu et, résigné, je pris la carte. Michel Hangoulve ; ce nom ne m’était pas inconnu.

— Jeune ou vieux ? demandai-je au domestique.

— Jeune, tout jeune, me fut-il répondu.

« Allons, c’est quelque débutant qui se sera fait présenter un jour dans une salle de rédaction, pensai-je, à moins que je n’aie remarqué son nom au bas de quelque article de petite revue. Il faut encourager les jeunes. » Je fis signe d’introduire.

Je n’eus pas plutôt vu mon homme que je regrettai immédiatement d’avoir laissé entrer M. Michel Hangoulve. Entièrement glabre, les yeux ronds à fleur de tête et la peau d’un rose vineux de cicatrice, il s’avança, précautionneux et sautillant, sa longue échine onduleuse obséquieusement tendue vers moi, d’une laideur à la fois si servile et si plate que j’eus immédiatement l’aversion instinctive de cette mine de pleutre et de cafard. Il s’excusa avec une politesse outrée de son insistance, objectant la grande admiration qu’il professait pour mon talent ;