Page:Lorrain - Sensations et Souvenirs, 1895.djvu/15

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les pauvres du parvis accroupis en prières,
Les trèfles des piliers et les lys des verrières
Dans les noirs croisillons ouvrant leurs fleurs d’azur,
Et la lampe, astre d’or au fond du chœur obscur,
Tous bénissaient Odile, et quand, fête et dimanche.
Rose et tenant baissés ses yeux bleus de pervenche,
Elle passait dans l’ombre austère du portail,
Son vieux missel d’ivoire aux lourds fermoirs d’émail
Appuyé sur son cœur, une fraîcheur d’aurore
Pénétrait dans l’église et la cloche sonore
S’élançait plus joyeuse à travers l’infini.


d’où ces vers, écrivais-je plus haut, première œuvre de ma quinzième année et réminiscence évidente de quelque légende dorée entendue presqu’au berceau, et dont mon cerveau émerveillé paraphrasait inconsciemment la miraculeuse impression, en essayant d’y symboliser la grande joie radieuse, or et bleu, du dimanche de Pâques !

Que sont devenues les cloches de mon pays, de ma petite ville de la côte ! Toussotantes, usées, vieillies comme les cloches de Rodenbach, se sont-elles tout à fait tues ou est-ce moi qui suis devenu sourd ? Mais il y a longtemps que je n’entends plus leur voix… Si elles parlent encore, elles parlent bien bas, les pauvres vieilles, et en tout cas une langue que je ne comprends plus ; d’ailleurs bien d’autres choses ont changé pour moi. Plus on avance dans la vie, plus on s’y sent étranger : les impressions vous trahissent, les sentiments aussi ; quand je vais dans mon pays, je ne retrouve plus les paysages familiers à mon enfance, et eux aussi