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Le potager dévalait en pente, à mi-côte de la falaise, et autour de son enclos la campagne embaumait, mi en champs de luzerne, mi en landes fleuries de mauves et d’ajoncs à l’odeur de miel ; ça sentait bon le thym, les herbes aromatiques et la brise du large. Au loin, dans les échancrures des falaises le bleu de la mer éblouissait.

Oh ! comme tout cela est loin déjà… la Bible épelée sur les genoux de grands parents morts, disparus avec le cadre vieillot et charmant de vieux logis aujourd’hui transformés, abolis, la grande messe où l’on vous conduisait le dimanche, la somnolence des vêpres entendues comme en rêve, et la fantasmagorie des fins encensoirs qui vous semblaient en or, envolés en cadence au milieu des pierreries des vitraux. C’est là la féerie qui berce notre enfance, l’accueille et l’envoûte d’un sûr envoûtement au début de la vie ; d’où, chez les tendres et dans les âmes fidèles, la persistance des souvenirs des premières années demeurant liés aux choses de la religion.

D’où le suppliant regard en arrière jeté par les désespérés et les rebutés de la vie moderne du côté de la cathédrale et de son envol de tours ; d’où ces vers éclos en ma toute jeune adolescence :

Les saints de pierre assis dans la voûte des porches,
Les anges du transept et l’âme d’or des cloches
Captives dans la cage énorme du beffroi,
Tous connaissaient Odile, et, grelottant de froid,