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tels sanglots d’angoisse que le contre-coup, comme un battement de cloche, m’en martelait délicieusement le cœur. J’essayai de la calmer, elle pleurait toujours sans discontinuer ; je l’avais attirée plus près, sur ma poitrine et tandis qu’involontairement, inconsciemment et cependant ravi, je buvais une à une ses larmes, je me sentais envahi d’une compassion voluptueuse faite de douleur et de pitié. Elle se plaignait toujours comme un enfant, toute à sa peine ; mais il y avait de la reconnaissance dans son étreinte, et dans la façon dont elle balbutiait mon nom, une adoration suppliante telle que j’en défaillais à la fois de sensualité et d’orgueil. J’ai su depuis que toute cette belle frénésie de sanglots et de larmes s’adressait à un autre, que je n’étais que le mannequin de sa douleur. Amusée d’une ressemblance, elle avait cédé en devenant ma maîtresse à une curiosité maladive, au désir de revivre avec un vague Sosie les minutes d’angoisse et de passion d’un passé irréparable. Depuis, j’ai eu l’explication de certains regards, de certains gestes ; depuis, j’ai connu le pourquoi des brusqueries et des caprices survenant tout à coup après d’indicibles heures de tendresse et presque