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que c’est d’une âme dont je suis amoureux. »

— « Mais puisque cette âme était à un autre, c’est un jeu de dupe que tu as joué là, mon cher, et t’y attacher encore…

— « Eh ! je le sais bien, mais si elle n’avait pas eu dans sa vie ce premier amant adoré, aurais-je connu auprès d’elle ces frénésies de passion et de larmes qui me l’ont rendue inoubliable. Ah ! la première nuit qu’elle m’a accordée dans cette petite auberge du bord de l’eau, où nous avions dîné en tête à tête, avec les fenêtres de notre chambre ouvertes sur les pelouses du parc, un vieux parc à l’abandon qui nous avait vus tout le jour rôder à l’ombre de ses massifs et de ses quinconces ! Oh ! la première minute qui suivit la possession ! Comme je revenais lentement de l’espèce de petite mort qui accompagne le spasme, je m’aperçus que j’avais les joues tout humides de larmes, comme une pluie chaude qui se serait abattue sur ma face et dont l’amertume salait délicieusement nos lèvres et ses baisers. C’était elle qui pleurait silencieusement, la tête noyée dans ses longs cheveux de soie, la joue sur l’oreiller, ses deux mains frémissantes appuyées à mes épaules, et secouée de la nuque aux talons par de