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et de mon malheur à moi, triste et douloureux prophète ?


Paris, 8 septembre. — Je reviens de Sèvres, je viens d’y passer la journée, chez mes amis Lostin ; j’aime d’une affection presque reconnaissante ce petit ménage d’artistes, l’homme graveur et la femme peintre, vivant si loin de ce siècle et des préoccupations du boulevard, sur ce bord de Seine, tous deux épris des Primitifs et imprégnés de lectures mystiques, dont l’atmosphère a fini par les nimber tous deux comme d’une auréole et par leur faire des yeux d’extase et des fronts lumineux d’archanges de Gozzoli : la femme surtout est extraordinairement curieuse avec ses regards d’au-delà, noyés d’eau et comme en allés dans le bleu intense des prunelles, tandis que la bouche à la fois sensuelle et sauvage lui fait un sourire de bacchante mystique ; et puis j’aime son art, un art visionnaire et morbide, et la couleur dolente et le faire précieux et somptueusement rare de ses pastels ; j’aime les navrantes têtes de décollées et de martyres qu’elle évoque, inévitablement posées sur le revers d’un plat ou baignant, comme des fleurs