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pâle dans le rose de sa batiste à pois. Elle a eu un joli sourire à la rencontre de trois petits loqueteux, trottinant pieds nus sur la route, des fagots de bois mort brinqueballant aux reins, et me les désignant du doigt : « Moi, à dix ans, m’a-t-elle murmuré à l’oreille, on m’envoyait au bois, mes frères et moi ». Elle a voulu également me conduire à la carrière, celle où son père s’est tué en extrayant de la marne, une carrière aujourd’hui à l’abandon au milieu de laquelle des éboulements de terre et des jets de ronces sauvages font maintenant un fouillis de verdure et de hautes herbes folles avec, çà et là, des ombelles de ciguës et des grosses mûres des bois ; mais elle a hâté le pas devant le cimetière, refusant d’entrer. « À quoi bon, nous étions pauvres… Je ne retrouverais pas la place. » Et, durant toute cette mélancolique promenade à travers le passé, je l’ai suivie pas à pas, épiant une larme au coin de son œil bleu, désirant, appelant une altération de sa voix.

Mais miss Holly est demeurée calme ; attendrie, certes, elle l’était, mais sa nature de santé et de force est rebelle aux sursauts nerveux, aux subites défaillances de la voix et du regard, à ces brusques effusions pâmées, faites