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où de grosses mains d’anciens matelots maintenant assagis vous servent d’étranges salades de tourteaux et de poivrons confits, j’y retrouve le charme angoissé et le malaise un peu opprimant de l’heure d’un départ, un départ pour très loin, au-delà des Océans, pour des pays neufs et pour une vie neuve, là-bas, très loin, aux colonies. Les colonies ! ce sont bien, en effet, leurs rivages de chaleur et leurs profonds ciels bleus qu’évoquent dans mon esprit ces enseignes chantantes de maritimes gargotes, au Port de Bahia, au Départ, aux Antilles.

Oh ! les étincellements des maisons de chaux blanches sur les jaunes plages de sable, ce serait peut-être la guérison qu’un exil dans ces lointains pays.

Je voudrais oublier qui j’aime !
Emportez-moi loin d’ici,
En Flandre, en Norwège, en Bohême
Si loin qu’en chemin reste mon souci !
Que restera-t-il de moi-même,
Quant à l’oublier j’aurai réussi !

Oublier qui ? je ne sais plus, et que suis-je venu faire ici ? Est-ce la mer de mon enfance, cet Océan si souvent écouté aux heures d’ennui vague, plus souvent regardé avec des yeux de convoitise à l’époque de la puberté et de l’éveil des premiers rêves, ou bien la voix