Page:Lorrain - Buveurs d’âmes, 1893.djvu/47

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment, comme un regret me prenait de l’occasion manquée. Et est-il indiscret de chercher à savoir ce que vous avez demandé ? » Alors, elle tout à coup sérieuse :

— Oh ! une chose bien simple, allez, je me suis signée et j’ai dit tout bas : « Mon Dieu, faites-moi la grâce d’aimer toujours ceux que j’aime aujourd’hui ».

Et voilà que, sans savoir pourquoi, je me suis senti remué, mais remué jusqu’aux larmes et, parole d’honneur, il en est tombé une sur la petite main que j’avais prise pour la serrer ; alors j’ai vu dans son regard qu’elle me plaignait et qu’elle, aujourd’hui si heureuse, avait eu certainement autrefois sa part d’épreuves à subir.

18 Juillet. — Le Havre. — Un fourmillement de vergues et de mâts, bâtiments de guerre et vaisseaux marchands, comme une forêt mouvante dressée sur l’horizon encrassé de fumée par les transatlantiques, avec çà et là le papillottement blanc des voiles ensoleillées au large : les neufs bassins du port.

Et, sur toutes ces fines et lointaines silhouettes une atmosphère lumineuse et dorée, poussière des balles de coton et des sacs de blé qu’on