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Qu’est-il advenu de leurs pas ?
De sa face hautaine ou de son âme haute,
De l’orgueil d’un ou du rire d’un autre,
Où les ont menés le malheur ou la faute ?
Qu’est-il advenu d’eux, dans leurs soirs, là-bas,
De leur douleur, de leur tristesse, de la vôtre,
Vous l’un de ceux-là et vous l’autre,
Qu’est-il advenu de vos pas ?

La tristesse et la nostalgie de ces mélancoliques vers d’Henri de Régnier, jamais je ne les avais si bien vécues et ressenties ; sa voix fragile et grave s’altérait tout à coup en des intonations rauques qui les rendaient plus touchants encore ; pauvre et charmante actrice, elle s’émotionnait elle-même en écoutant sa voix et c’est cette émotion montante et croissante en elle, dont pénétrait en moi le choc en retour. Où donc avais-je déjà entendu cette voix ?

On heurte là-bas à des portes.
Et j’entends qu’on mendie au coin des carrefours ;
Mon soir est inquiet de vos jours :
J’entends des voix basses et des voix fortes.
Celle qui prie et qui gourmande, et tour à tour,
Comme vivantes et comme mortes,
Au fond des jours !

Cette voix aux brisures profondes, cette voix d’âme je la connaissais, c’était la sienne, celle de l’autre, celle qui s’est en allée je ne sais où, très loin, là-bas, sans même me laisser un mot