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petite coiffeuse. « Et sa femme, et ses enfants ? haussai-je la voix indigné. — « Il a tout planté là. Oh ! c’était une rosse, il y a longtemps qu’il méditait le coup, il avait tout déménagé d’avance, ses effets, ses papiers ; lundi il n’a eu qu’à lever le pied, il est sorti comme si rien n’était, et n’est pas revenu et emportant l’argent. C’est bien là le pis, s’il n’avait pris que les deux cents francs encaisse, mais il emporte huit cents francs qui ne sont pas à lui, huit cents francs empruntés à un commerçant de la rue Poissonnière et dont l’échéance tombe demain ici, et la patronne n’a pas le premier sou. En voilà une rosse, mais chut, voilà justement le monsieur des huit cents francs, celui qu’a floué le patron ! » Deux hommes venaient d’entrer dans la boutique et très polis, avec des saluts apitoyés à la coiffeuse, s’accoudaient maintenant sur le comptoir ; et, dirigée par la dame aux frisons, la conversation roulait entre les quatre intéressés à voix précipitée, mal contenue, nerveuse, fébrile, ardente. Des lambeaux s’en saisissaient, tels ceux-là : « Avez-vous fait la déclaration à la préfecture ? a-t-on son signalement ? — il est parti dites-vous par la gare Montparnasse ? Quoi, il a emporté votre