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Comme on se sent ici loin de France ! Jamais nulle part je n’ai eu plus poignante au cœur l’impression de l’exil et de l’isolement. Oran est pourtant une ville française, ville de plaisirs et de commerce, un des centres du gouvernement, mais c’est cette mer que je viens de traverser, cette profondeur bleue qui désormais nous sépare et puis ce parfum d’Algérie à nul autre comparable, cette senteur à la fois exquise et barbare de charogne et de fleur violente, comme de la pourriture d’encens.

Et dire que, si je suis ici seul, abandonné, si loin de la France et des miens, c’est par lâcheté, oui, par lâcheté. C’est parce j’ai eu peur de cette femme et que j’ai senti qu’elle allait me reprendre que j’ai fui, fui comme un poltron, éprouvant tout à coup le besoin, le désir fou de mettre des centaines de lieues et la mer, et l’inconnu, et le non déjà vu entre cette femme et moi !

Oh ! comme elle me tient encore dans sa main, et comme elle le sait ! est-elle assez certaine de sa puissance ! Comment aurais-je pu croire que cette liaison rompue depuis six mois, était encore si vivace dans mon cœur ! J’avais su ne pas répondre à ses lettres, j’avais