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argileuses et rougeâtres ne sont plus maintenant qu’une bande violette, une barre de ténèbres au trait plus accusé dans tout ce clair-obscur.

Les allées du ravin tournantes et ombragées, leurs grands eucalyptus et leurs rosiers rouges en fleurs, tout s’est décoloré soudain ; un réverbère s’allume au pied des hauts remparts et sur la grand’route le passant devenu rare n’est déjà plus qu’une indistincte silhouette grisâtre dans l’air brun ; au loin, très loin, de lourds chariots se traînent avec des bruits de grelots, de sonnailles ; c’est la nuit, c’est le soir.

L’heure où, dans le quartier juif empuanti d’infâmes odeurs de musc et de fritures, les zouaves et les matelots commencent à battre les murs, en quête, qui, d’une soûlerie d’absinthe, qui, de quelque aventure de bouge de garnison ; dans le village nègre la débauche indigène raccroche effrontément sous le caftan et le haïk, à la porte des cafés maures bondés de grands fantômes accroupis silencieux dans des burnous blancs ; des sons de derbouka glapissent au-dessus de la ville, et je ne sais quelles exhalaisons de laine et d’épices flottent dans l’air, exhalaisons indéfinissables, écœurantes et savoureuses pourtant.