Page:Lorrain - Buveurs d’âmes, 1893.djvu/178

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et j’admirais l’ingéniosité du peintre en même temps que j’aimais sa hardiesse pour avoir osé clouer sur la sublime croix le féroce et joli tourmenteur de notre race, et j’approuvais en moi que celui qui a perdu le monde fût sacrifié par lui.

Mais alors pourquoi ces dolentes et miséricordieuses figures au pied du bois de justice ? et quand tout l’univers gronde encore, le cœur gros de rancunes et mal guéri des anciens maux soufferts, pourquoi la pitié de ces deux femmes en larmes et la présence attristée de ce disciple auprès de ce cadavre criminel ?

Et comme je cherchais à deviner le symbole de ces trois personnages absolument respectés, eux, par l’indépendance du peintre et demeurés ceux de l’Évangile, l’amie, qui ce jour-là m’accompagnait, par hasard entrée avec moi dans cette petite église et qui, elle aussi, avait vite démêlé dans ce jeune Christ ailé le supplice de l’Amour, se penchait curieusement par dessus mon épaule et d’une voix presque de reproche : « Comment, vous ne devinez pas, vous n’avez donc jamais aimé ! » Et comme je la regardais un peu surpris, elle balbutiait tout