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cueillaient ce pauvre corps martyr, était bien la croix du Golgotha, et c’était bien l’extase de la Passion qui noyait à la fois leurs grands yeux d’amertume et détendait leurs lèvres en sourire attendri ; mais, chose étrange, malgré les glorieux stigmates des clous et du fer de lance, malgré même la meurtrière couronne d’épines, je ne reconnaissais point le corps du Christ. Cette nudité saignante gardait à travers les sanies du supplice des transparences de chair, des souplesses de contours et des grâces fuyantes qui n’étaient pas d’un homme de trente ans ; il avait, ce crucifié, des rondeurs et des gracilités d’éphèbe, et jusque dans son doux visage d’Asiatique imberbe aux lourdes paupières de bistre et aux lèvres sinueuses d’un dessin à la fois méprisant et cruel, il avait, ce Jésus, comme un charme équivoque, une attraction perverse qui m’intriguait ; et m’étant curieusement approché de la toile, je vis, détail tout au moins inquiétant, que deux tronçons d’ailes coupées au ras du torse vibraient à ses épaules, deux pauvres petits moignons lamentables et sanglants.

Suprême et déconcertant caprice de l’artiste, il avait enfin, ce Christ ailé comme un