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et elle me faisait entrer dans la pièce voisine, dont Aiguor avait fait son cabinet de travail.

Le temps d’allumer un flambeau et elle me conduisait devant un haut lutrin en fer forgé, épave de quelque abbaye détruite et que nous avions découvert, Claudius et moi, dans une écurie d’auberge, dans le hameau du Thorp.

Un grand album en forme de missel relié en velours de Gênes, à ferrures artistiques, était posé sur ce lutrin, Je le connaissais aussi, ce missel. C’était un recueil de photographies d’après les tableaux des maîtres préférés de Claudius ; en regard de chaque photographie, il avait écrit de sa main, sur des pages de moire, des vers inspirés du sujet ou du peintre lui-même. Gustave Moreau ouvrait le volume avec sa Chimère, sa jeune fille portant la tête d’Orphée ; il y avait là aussi la Salomé dansant devant Hérode, le Sphinx, le Jeune homme et la Mort et le merveilleux poème des Sirènes, une rêverie d’une philosophie et d’une mysticité si hautes qu’il faut être presque poète pour la saisir et la rêver : suivaient quelques Primitifs et plusieurs Léonard de Vinci, entre autres la Vierge à la Grotte, cette peinture si parente de celle de Gustave Moreau à travers les siècles